BIENVENUE DANS LE PIXEL AMNIOTIQUE

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je vais vous exposer pourquoi et comment être sur un écran et même dans un écran procure un ressenti comme aucun autre.Je vais vous présenter l’écran comme un retour aux sources. La source la plus ancienne qui soit, celle de la fusion, la vraie. Je veux en effet parler de la période in utero. Et j’irai même jusqu’à comparer l’écran à un ventre maternel, rectangulaire soit mais un ventre contenant, une antre qui ramène la personne à l’intérieur. La régression tant rêvée devenue presque réalité; celle que l’on nomme la réalité virtuelle.


On constate que lorsque l’on est sur ses écrans, l’environnement semble s’effacer progressivement. On ne voit plus que ce qui se passe sur l’écran, les bruits n’existent plus, on regarde ailleurs, on écoute autre chose. Si on parle à une personne qui regarde son écran pour multiples raisons, on constate qu’elle semble ne pas entendre, il faut répéter plusieurs fois, parler plus fort, insister pour être entendu et avoir une réponse. C’est cela être dans l’écran. J’ai souvent entendu dire cette phrase par des grands parents à leurs petits enfants qui regardaient la télévision « recule un peu, bientôt tu vas rentrer dans l’écran. » Aujourd’hui, c’est chose faite, nous sommes bien rentrés dans nos écrans. Et lorsque nous y sommes, tout comme dans le ventre maternel, nous n’entendons plus les bruits de l’extérieur tels quels, nous nous sentons coupés du monde réel et nous nous laissons porter comme nous nous laissions flotter in utero. Les parois de nos écrans sont limitées, avec notre souris il est rapide de toucher les contours, comme celles du ventre qui nous portait. Par contre les sensations y sont infinies et on se laisse porter, bercer, sans avoir trop de mouvements à y faire, quelques coups de pieds ou coups de gueule contre un manque de place, ou de réseau. Pas grand chose à penser ni à intellectualiser , bienvenue dans le pixel amniotique !



La régression symbiotique dans l’antre des écrans se caractérise déjà par le fait d’être à l’intérieur. Quand je dis à l’intérieur, c’est être en général chez soi, en position détente dans un canapé ou dans son lit ou sur un fauteuil de bureau, presque pour certains en position foetus, ou tout du moins en position hypotonique. Le corps est avachi, seule la main ou les mains sont mobilisées et actives. Je n’irai pas jusqu’à faire le rapprochement avec le bébé in utero qui joue de ses doigts ou qui suce son pouce mais bon bref, les mains sont les seules membres actifs. Il faut reconnaître qu’elles excellent dans l’art de la souris, de la manette, du tactile du téléphone.



On remarque chez l’adolescent ce besoin d’être chez soi, dans sa chambre, dans son écran. A l’intérieur d’un intérieur à l’intérieur. Coupé du reste du monde, enfermé dans son monde impénétrable. En total refuge et protection. Un ventre qui le protège, qui le porte, qui le mène ici et là et encore ici et là bas sans jamais avoir à bouger ni à parler. Ni voir personne. Ne rien avoir à faire, à partager, un monde sans contraintes physiques, un monde où on ne bouge pas, un monde où seuls sont mobilisés les yeux, les oreille et la main. Et faire tout avec seulement cela. Et vivre tout avec seulement cela. Quelle devoirs à faire ? Quelle douche à prendre, quelle chambre à ranger, quel diner à partager?  etc etc . Pourquoi faire ? Avec les écrans, c’est comme un état de bien être qui serait retrouvé avec le sentiment que ce bien être vient de ce qui se passe sur l’écran et non plus de l’extérieur. D’ailleurs plus l’individu s’enferme dans ses multiples intérieurs, plus l’extérieur lui semble compliqué, contraignant, dangereux, restrictif, pauvre, limité, frustrant. Et plus il va dépendre de ce ventre écran qui le protège et le nourrit dont le  cordon ombilical se caractérise par le flux d’informations, d’images, de pixels, de sons.


Une immense solitude s’installe alors pour l’individu, coupé de toutes interactions avec l’extérieur. Combien d’adolescents ai-je reçu, coupé de leur vie à cause des écrans, des enfants descolarisés, sans amis, en conflit avec leurs parents. Une vie réduite enfermés dans leur chambre, à jouer et à se promener sur les réseaux sociaux. Des jeunes devenus incapables d’affronter l’extérieur, un monde pour eux terrorisant qui ne répond pas aux actions de leurs manettes ou de leurs téléphones. Bien sûr je parle de cas particuliers et extrêmes mais malheureusement en progression. La population adolescente est très marquée par ce phénomène de fusion car elle est aux portes de sortie de la petite enfance et aux portes d’entrée du monde des adultes. C’est une période si déstabilisante et angoissante de ne plus être et de ne pas être encore. Alors quand les écrans arrivent avec leur ventre rectangulaire, les jeunes n’ont qu’une envie, c’est de sauter dedans et d’échapper à cette transition longue et douloureuse qu’est l’adolescence, comme celle d’une naissance de la version adulte d’eux même. Au moins devant leurs écrans, ils peuvent rester des enfants qui s’amusent tout en contrôlant les touches et les manettes comme des adultes. Un compromis parfait pour eux qui ne veulent pas renoncer à être enfant ni renoncer à devenir adulte.



Il y a la notion de mère nourricière et maintenant celle d’écran nourricier. Celui devant lequel l’individu est capable de rester et d’oublier qu’il a faim, soif ou qu’il ne s’est pas lavé. lorsque le sommeil arrive, il est repoussé par les visuels et audios hyper stimulants. Comme si tout ce dont la personne a besoin, en terme de vrai besoin est contenu et déversé par son écran. Big Mother nous biberonne. Le flux est infini et incessant, une source intarissable.


La gestation dure un temps, les écrans aussi. Et tout cela cesse par une séparation. L’être humain sort du ventre par l’effort et la douleur, et il semblerait que ce soit pareil pour sortir des écrans : par l’effort et la douleur. Combien de parents peuvent témoigner de crises, d’hurlement, d’agitation même de violence quand il faut couper. Tiens couper… comme couper le cordon ! J’aime dire à mes patients ces phrases : « nous commençons tous notre vie par une séparation. Définitive et irréversible. On sort du ventre et  on n’y retourne jamais. Enfin moi en tout cas, je n’en ai jamais vu qui y sont revenus ». Sortir des écrans pour les plus dépendants pour ne pas dire les plus fusionnels, c’est exactement la même expérience psychique. Et cela provoque une angoisse terrible qui est celle de faire face à la séparation définitive. On pourrait dire « allez, c’est pas la mort ». Ben si justement c’est la mort ou c’est tout comme. A ce moment là, l’individu atterrit à l’extérieur de l’écran, bienvenue dans la réalité ! Celle où le temps passe sans concession, celle ou il y a des joies et des chagrins, des libertés et des contraintes, celle où on vieillit, celle où on meurt, celle où on n’a qu’une vie.


On est loin de la vie à l’intérieur, celle où on est porté, pas d’efforts, pas de problèmes et si on rate, on recommence et si on meurt, on revit, celles où on a plusieurs identités, avatars, des centaines d’amis. Celle où on ne vieillit pas car il y a des filtres, celle ou le flux ne s’arrête pas. On pourrait scroller sans que jamais l’écran déclare forfait dans son contenu. La vie dans les écrans, c’est la vie éternelle. Notre vie réelle commence à partir du moment où nous naissons, les mois in utero ne sont pas comptés. Mais dès lors que le bébé pointe le bout de son nez, le compte à rebours est lancé, enfin on a une base de départ, date et heure de naissance et c’est là que commence la vie. A partir du moment où on est à l’extérieur du ventre maternel, la vie commence et la mort sera un jour. Sortir du pixel amniotique pour arriver dans cette réalité ravive les angoisses de vie et de mort. De façon inconsciente bien sur. Mais les manifestations de l’angoisse sont bien là et réelles. Car arrêter les écrans, ce n’est pas arrêter le temps mais bien contraire, c’est relancer la machine intraitable du temps qui passe et de tout ce qui y est associé.


Les écrans représentent le fantasme archaïque, celui du retour dans le ventre maternel. C’est apaisant, sécurisant, protecteur. Mais aussi isolant car cela ne permet plus le contact. Juste l’écran et l’individu. Voilà pourquoi les gens s’enferment, se replient même devant leurs écrans, comme faire un câlin, ou se bercer avec un doudou. On constate la panique et l’impossibilité à être sans portable pour certaines personnes, comme un enfant qui ne peut pas aller se coucher sans son doudou. D’ailleurs, de nombreux adolescents et même enfants réclament l’écran au moment du coucher et veulent le regarder  près d’eux durant la nuit.


Je pense avoir suffisamment donné d’arguments pour exposer la notion de fusion avec l’écran en résonance psychique avec notre expérience fusionnelle et son besoin.


J’aimerais, pour conclure, proposer quelques astuces qui peuvent faire grandir cette relation fusionnelle en relation plus mature pourrais-je dire.


Concernant les enfants et les jeunes adolescents, il est préférable qu’ils puissent utiliser leurs écrans dans une pièce commune pour éviter le repli dans la chambre qui favorise la relation fusionnelle.


De la même façon, il est préférable de ne pas ritualiser le moment des écrans, comme on ritualise le coucher par exemple pour les enfants. Le fait de ritualiser donne une sphère réconfortante aux écrans, ce que l’on veut bien sur éviter. Là n’est pas sa fonction. Le fait de ritualiser va créer une habitude de dépendance et pour les enfants les mettre en position d’exiger leurs écrans car c’est rentré dans l’idée d’un besoin pour leur quotidien.


Il est conseillé aussi d’éviter les écrans dans la chambre, pour les petits et les grands. Ils ne sont pas des doudous avec qui il est bon de s’endormir.


Et enfin, se souvenir de tout ce que l’on aime faire et qui ne requiert pas un écran. Se souvenir des émotions de ces moments là car le problème de trop d’écrans et que l’on se coupe de ses émotions. Pareil pour les enfants, leur faire remarquer quand ils sont heureux , gais, enthousiastes que ces moments là ne pourraient jamais être vécu et ressenti ainsi et tels quels avec un écran.