ECRAN, MON BEL ECRAN, DIS MOI...

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Blanche Neige et l’affreuse reine qui interroge chaque jour son miroir pour savoir qui est la plus belle et se rassurer qu’il s’agisse bien d’elle, vous connaissez ?

Mais aviez-vous imaginé que cette histoire pour enfant, cette légendaire scène s’imposerait à notre quotidien ?

Contrairement au miroir de la reine disposé dans sa chambre ou dans son cabinet de toilette, le nôtre est toujours à portée de mains. Il nous accompagne en tout lieu, toute circonstance.

La reine l’interroge chaque jour. Nous, c’est à chaque minute que nous le consultons, partout, et tout le temps.

La formule « miroir, mon beau miroir, dis moi… » est aujourd’hui plus directe, plus efficace : « dis google… », « dis Siri… », « Alexa, qui est… ». Tout comme la reine, nous avons nous aussi notre « objet ». Nous lui octroyons une confiance absolue ; il ne saurait nous mentir. Il est celui qui sait de façon certaine. Il nous répond, nous informe, et nous rassure. La relation que nous entretenons avec notre écran a fait de chacun de nous des rois et des reines. Notre royaume est défini en fonction des algorithmes générés par nos recherches et nos besoins. Sa superficie est de quelques centimètres carrés mais ses territoires… infinis.

L’écran a fait de l’individu une vedette. Une vie mise en scène et en pixels. Star de son petit écran, il n’est pas seulement l’acteur mais aussi le réalisateur, le cameraman, l’ingénieur du son, le monteur et pour certain, le producteur aussi. Avant l’ère du numérique, les stars étaient des acteurs, des chanteurs, des mannequins que l’on pouvait adorer et aduler devant nos écrans de télévision, de cinéma ou dans nos magazines. L’écran faisait écran et par cette distance, ils avaient cette magie d’être inaccessibles et de faire rêver. Qui n’a pas rêvé un jour d’être connu comme le chantait Charles Aznavour « Je me voyais déjà, en haut de l’affiche… » ? Grâce aux réseaux sociaux, c’est désormais possible et accessible. Tout le monde, sans exception, sans casting, peut aujourd’hui exister sur l’écran. Les followers ont remplacé les fans. Cela a commencé par l’émergence des youtubeurs qui ont ouvert la porte à une nouvelle forme de popularité. Le star système est devenu individuel. Il ne nécessite qu’un écran et un compte, et en quelques clics, il est devenu possible d’exister au regard de la planète entière.

Sur la toile, il y a de tout. Du meilleur comme du pire. Il est juste de reconnaître que cette ouverture des frontières du cercle très fermé du « star système » permet à de vrais talents de s’exprimer, de se faire repérer et d’avoir leur chance. Cela crée quelque part une forme d’égalité. Tout le monde peut poster ses vidéos, le talent, la chance et les algorithmes font le reste.

Mais pour quelques vrais talents, combien de contenus sans intérêts et d’une bêtise même pas distrayante envahissent nos écrans ? Des images qui crient « regardez-moi je suis beau, je suis génial » et qui attendent le like tel un césar : consécration, une star est née.

Depuis que les individus sont devenus des stars, les stars elles sont rétrogradées au rang des individus. Elles sont devenues accessibles ! Toujours grâce aux réseaux sociaux, il est désormais possible de leur adresser un message sans passer obligatoirement par leur agent. A la manière de n’importe quel utilisateur, certaines postent des bouts d’elles, de leur quotidien. La frontière entre la personne célèbre et son public s’est amenuisée. Mais il lui faut bien « en être » et jouer le jeu de la proximité et de la promotion numérique.

Ce miroir magique qu’est l’écran et qui nous accompagne chaque jour n’est pas sans rappeler le mythe de Narcisse. Tout comme ce dernier, pour beaucoup, il est devenu impossible de détacher leur regard de leur reflet, celui de leur image, de leur vie. Ils ne voient plus rien d’autre qu’eux-mêmes dans une mise en scène orchestrée par les algorithmes et les applications. Nous devrions nous méfier de ne pas finir comme Narcisse car à force de vouloir crever l’écran, nous risquons bien de « crever » seul devant l’écran.                                                        Karine de Leusse Schirtzinger