Si le temps m'était compté

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Cet épisode 3 de « Les écrans dans la peau « est un épisode fondamental, un épisode phare pour comprendre ce qui nous relie aux écrans. Grace à cet épisode, vous allez comprendre l’attrait, ou plutôt devrais je dire l’attraction sans faille que produit sur nous les écrans. Je ne vais pas faire durer plus longtemps le mystère, il s’agit du Temps.


Ce temps qui passe inexorablement qui débute et terminé la vie, la nôtre mais pas seulement, celles des animaux, des végétaux etc. le cycle de la vie. Ce temps que rien ne peut arrêter, à part une heure en plus ou en moins par an pour nos économies d’énergie, rien n’arrête le temps qui passe, rien ne peut l’empêcher de passer. Le sujet du temps est traité tant et tant dans la littérature, je ne peux ici tous vous les citer tant ils sont nombreux mais par exemple qui ne s’est pas glacé le sang en lisant le poème « l’horloge » de Baudelaire : « Souviens-toi que le Temps est un joueur avide

Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.

Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !

Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide ».


…..dans le cinéma aussi dans le magnifique film adapté du roman de Scott Fitzgerald écrit en 1922, l’étrange histoire de « Benjamin Button » incarné merveilleusement par Brad Pitt qui raconte une vie à l’envers. Une métamorphose magistrale sur la course évidemment perdue d’avance contre-le-temps, contre la mort, sur cet effroyable écoulement du temps.« je me disais que rien ne dure et que c’est vraiment dommage  - certaines choses durent », ou plus léger, comme le film « Retour vers le futur » sur le fantasme des machines à remonter le temps  

Les contes et les mythes aussi rengorgent du thème de l’éternité, de la fontaine de jouvence.


Le temps guide, gère et est notre principe de la réalité. Car il est la frontière entre la névrose et la psychose. C’est le temps qui met l’individu du coté de la conscience et donc de la névrose. Ce temps qui fait de l’individu un être conscient. Conscient du temps qui passe d’où les angoisses. Des angoisses liées à l’écoulement du temps et sur lequel rien ne peut agir. Un écoulement incontrôlable. Malgré tous nos mécanismes de défense du moi, fixations, organisation, tocs, compulsions, manies, rituels…le temps ne peut être attrapé, sequestré, enfermé. Il est libre… tel un assassin qui court les rues, il est en cavale.

Extrait d’une discussion avec un enfant de 11 ans :


- mais c’est quoi le rapport avec les écrans alors ?

-Tu ne trouves pas qu’internet fait penser à éternel ?

- si

- quand tu joues avec ta console et que tu perds, ton jeu s’arrêtes et toi aussi?

- non moi je peux recommencer.

  • tu as une notion de l’heure qu’il est lorsque tu es sur les écrans ?
  • Non
  • et du temps que tu y as passé ?
  • Non
  • Est ce que tu t’arrêtes d’être sur ton écran parce que car le contenu s’arrête ou est vide ?
  • Non
  • Il y a donc toujours quelques chose sur ton écran ?
  • Oui si je regarde une vidéo sur you tube et qu’elle est fini, il y en a plein d’autres.
  • Tu sais combien ?
  • Non mais beaucoup beaucoup
  • une infinité ?
  • Oui , je crois que oui c’est infini


Sur les écrans, le temps passe différemment. Comme une suspension des heures où l’on peut se promener, scroller à l’infini sans que jamais le contenu ne soit défaillant. Un monde sans limite et donc sans limite de temps. C’est une façon de passer le temps et de ne pas voir passer le temps. Comme si les heures passées sur les écrans ne comptaient pas, qu’elle n’empiétaient pas sur le temps de vie. Comme revenir d’un voyage où le temps n’existe pas. Les personnes, majoritairement les trentenaires commencent de plus en plus à réaliser qu’ils ont perdu du temps à rester des heures sur les réseaux sociaux ou devant des séries. Comme une prise de conscience qu’il existe aussi une réalité du temps. Parce qu’ils n’ont pas eu le temps de faire du travail, de lire, de sortir, de voir des amis. Ils réalisent ce qu’ils n’ont pas fait et qu’ils n’ont surtout rien fait, captifs volontaires de leurs écrans.


Les enfants et les adolescents ont aussi beaucoup de mal avec le temps perdu : pas celui perdu devant l’écran mais celui à ne pas en faire !! Comme s’ils n’avaient conscience et ne voulaient avoir conscience du temps que pour l’heure autorisée ou ils peuvent enfin avoir leurs écrans. Et si on leur prend du temps d’écran, la rébellion est là, ils vont négocier, revendiquer, s’énerver… Mais à l’inverse jamais le contraire ! Jamais ils ne vont se mettre dans ces états pour avoir perdu du temps devant les écrans. Parce que les écrans, ce n’est pour eux jamais du temps perdu. La perte, c’est de ne pas les avoir car sans eux, le temps est compté et des pertes sont annoncées :  par exemple celle de l’enfance, de la jeunesse, des grands parents etc etc…


Les écrans sont de plus en plus près de nous. Il s’attachent désormais à notre poignet avec les montres connectées. Ces montres qui nous disent tout, nos messages, les informations, le nombre de pas faits dans la journée, nos pulsations cardiaques et très secondairement l’heure qu’il est. de la même façon que le téléphone qui sert à tout et quelquefois seulement à téléphoner? Des objets déviés de leur usage d’organe pour se transformer en petit génie dans notre main ou à notre poignet, qui font tout pour nous et qui nous disent tout. Le temps et le tout le reste fusionnent pour ne faire qu’un. Comme si le temps était dorénavant un outil à notre service dont nous maitrisons l’usage.


Les jeux en ligne soulèvent une vraie question. Celle de la temporalité retrouvée. En effet, les parties de jeu se déroulent en temps réel, il n’y pas de pause possible et les conséquences sont immédiates et irréversibles. Prenons l’exemple du jeu Fortnite où il ne doit en rester qu’un à la fin. Quel parent peut réussir à faire quitter une partie à son enfant sans crise de nerf. Quel enfant réussit à garder son calme alors que la réalité du temps et son irréversibilité va impacter sa partie? de la même manière, les jeunes se donnent Rendezvous pour jouer en ligne. La notion de l’heure revient et là encore, il ne s’agit pas d’ignorer la temporalité. Les jeux en ligne ramènent la notion du temps sur les écrans et les angoisses qu’elle suscite. D’où de nombreux débordements émotionnels, des crises de nerfs, des flots d’insultes quand les jeunes et les moins jeunes jouer en ligne. L’enjeu va au delà du jeu, c’est le Je. Le Game over reprend un sens plus grave. Un game over au delà du jeu, un life over, une question de vie ou de mort.


Il serait important de rappeler que, concrètement que les écrans sont une ressource et non une source. Une ressource de travail, de détente, de loisirs, une ressource pratique. Et non une source de jouvence, ni d’éternité. La seule source qu’ils puissent être pour nous serait celui d’un puit sans fond duquel on ne peut remonter.


Quelques conseils, ça fait toujours du bien ! Il est important de comptabiliser le temps passé sur les écrans car le temps passé sur les écrans et aussi celui passé dans la vie. Et comme on dit, les bons comptes font les bons amis ! Ce temps passé sur les écrans est  un temps de vie. Si on accorde à son adolescent une durée de deux heures d’écran par exemple le lundi et qu’il dépasse de 45 minutes, le temps du mardi sera réduit de 45 minutes.

Le temps accordé aux enfants et adolescents sur les écrans doit être contractualisé. Un vrai contrat affiché par exemple sur le frigo qui donne une matérialisation, une réalité de ce temps d’écran. Avec les heures accordées chaque jour. J’ai mis sur mon site cyberaddictologie.fr un contrat à imprimer.


A l’image d’un parc d’attraction car n’oublions pas que les écrans sont comme un gigantesque parc d’attraction. On ne vit pas dans un parc d’attraction, on s’y rend et s’y amuse. Je mets aussi à disposition des tickets de temps que vous pourrez distribuer à vos enfants et jeunes adolescents. Aller sur les écrans, c’est un peu comme aller faire un tour de manège. Quelle joie de que détenir un ticket et de se dire qu’on peut encore faire un tour. Les écrans c’est comme un manège. faire un tour dans la voiture de police, c’est comme être dans une voiture de police, ce n’est pas la réalité. Tout comme on ne peut passer sa vie à tourner en rond , à agiter son volant comme sa manette ou sa souris. ce n’est pas réellement conduire sa vie ni être aux commandes de sa vie. Les écrans nous mettent sur des rails comme le manège le fait. et nous conduisons faussement notre vie.


Nombreux enfants et adolescents peuvent avoir les mêmes crises de colère et de caprice qu’un enfant qu’on doit descendre du manège parce qu’il a déjà  fait suffisamment de tours.


Quand vous demandez à votre enfant et adolescent d’arrêter l’écran, systématiquement il va vous répondre attends ! vous aussi répondez lui à temps… et rappelez lui que si vous vous pouvez l’attendre, le temps lui ne l’attendra pas.